Par Nawel Ayadi

Court-métrage « La voie du retour » de Mohamed Yassine Zairi

La robe moulante, la poitrine généreuse, les faux-cils saillants, le rouge à lèvres rouge vif, Lily, personnage principal de la fiction psychosociale La voie du retour de Mohamed Yassine Zairi de l’ESAD, exhibe sans complexe une féminité affirmée. Mais Lily est, pour le père,  Ali, transexuel réfugié en France et de retour dans la maison familiale traditionnelle. Bien que d’une durée de 15 minutes, ce court-métrage est un concentré de séquences chargées émotionnellement où Lily, délicatement interprétée par Hamadi Bejaoui, est présente de bout en bout. Car le réalisateur nous invite à l’accompagner dans sa réinsertion hasardeuse et risquée, certes temporaire, dans un espace familial qui l’avait rejetée vingt ans plus tôt. Elle tente de retrouver Abbès, son père devenu impotent physiquement, coincé dans sa chaise roulante.   

 A travers un jeu de temporalités oscillant entre passé et présent, le réalisateur redessine la relation père-enfant, désormais inversée. Cette inversion des rôles est multidimensionnelle dans ses rapports d’apprentissage, de domination physique ou de violence. On voit Lily, dans plusieurs séquences du film, prendre soin, à son tour, de ce père malade, en lui apportant à manger dans sa chambre ou en le lavant. Dans une autre séquence, l’enfant-élève devient le maître réapprenant l’alphabet à son père alité. Sans parler de la posture de Lily: l’enfant jadis dominé physiquement par son père, lui est désormais supérieur. Et l’adulte transsexuel, enfant violenté, devient lui-même violent envers ce père. Le réalisateur construit, assez subtilement, le processus de glissement psychologique vers cette violence insoupçonnée, au début du film. De son désir initial de renouer avec ce père absent de sa vie pendant longtemps, nous retrouvons une Lily mue par un désir naissant de vengeance. Au détour d’une porte de placard, Lily tombe sur un tuyau en caoutchouc qui lui est dédié car son ancien prénom Ali y est inscrit de manière indélébile, ne laissant aucun doute sur son usage et sa fonction première. Cette scène superpose l’image du visage effaré de Lily, sous le choc et  son souvenir des paroles insultantes d’un père furieux, paroles mêlées au son des coups du tuyau-fouet sur son corps. Le tuyau, symbole de la violence verbale et physique exercée par ce père ayant scellé le bannissement de Ali de la maison familiale, replonge Lily dans une douleur enfouie et déclenche par ricochet des relents de violence jusqu’ici refoulée. On le déduit dans la scène de règlement de compte improvisé où l’on voit ses mains caresser doucement le visage de Abbès, puis se faufiler pour entourer son cou passif et impuissant dans une tentative de strangulation avortée in extremis par la voix de sa sœur.  Car Lily est à deux doigts d’en finir avec ce père coiffeur-barbier du quartier, qui baignait dans le monde de la virilité de par son métier et sa passion pour le foot. Ce père en quête de son prolongement viril se retrouve face à une femme pleinement accomplie dans ses formes et sa posture mais qui a tout de même gardé sa voix d’homme, peut-être pour lui rappeler qu’elle demeure toujours ce fils abandonné habitant le corps d’une femme.

Au-delà de la question épineuse et taboue de la transition de genre, le réalisateur semble nous pousser à réfléchir sur l’évolution temporelle de la relation père-enfant et l’inévitable inversion des rôles qui en découle. L’invalidité physique de Abbès et son nouveau statut de dominé lui permettront-ils d’ouvrir les yeux sur l’essence de l’amour paternel, même lorsque l’enfant, dépositaire du patrimoine génétique et social de son père, décide de changer d’identité sexuelle ?