Par Abdessalem Chaabane
Court-métrage « Love and Lost City » réalisé par Mayssa Maaoui
Conçu dans un cadre académique, le film de Mayssa Maâoui témoigne d’un réel souci d’orthodoxie cinématographique : respect des règles du langage filmique, des normes audiovisuelles et maîtrise des outils techniques, le tout mis au service d’une écriture esthétique.
La jeune réalisatrice, issue du cinéma militant et formée au sein de la Fédération Tunisienne des Ciné-Clubs, suscite d’emblée des attentes élevées. Et dès les premiers plans, la tonalité est donnée : une ville en plan large, presque personnage à part entière, fixe le cadre où viendra s’inscrire la matière dramatique.
Le film joue la carte métacinématographique et autobiographique. Nous découvrons un personnage en pleine écriture d’un scénario intitulé “Mémoire de la ville”.
Dès lors, le projet prend des allures de mise en abyme : un film sur un film en devenir, porté par une réalisatrice hantée par la mémoire d’une ville fatiguée, mélancolique, que le récit habite de bout en bout.
Mais derrière cette quête artistique se profile une réalité sociale : le récit s’attarde sur les obstacles financiers, les freins d’un projet culturel dans une société dominée par la logique marchande. Cette impossibilité de faire naître le film rêvé conduit l’autrice à réinventer son langage. Le texte poétique surgit alors comme un personnage central. Dans une scène mémorable, celle du train, il s’impose avec puissance et sincérité, chargé d’émotion et de douleur, sur fond d’images en noir et blanc où la ville apparaît usée, saturée de saleté, presque figée dans sa décrépitude. Ici, la parole écrite supplante l’image, inversant la hiérarchie habituelle des signes pour faire vibrer l’espace filmique d’une rare intensité.
Pourtant, la ville ne sombre pas entièrement dans le désespoir. À travers quelques scènes, on aperçoit ses habitants, libres, rêveurs, manifestant pour des causes justes. Comme un souffle d’espoir qui traverse la noirceur. La réalisatrice semble vouloir nous dire que le salut est là, dans ce mouvement citoyen, dans cette énergie collective capable d’arracher la ville à son naufrage.
Poétique, profondément dramatique et visuellement élégante, cette œuvre marque une entrée prometteuse pour Mayssa Maâoui dans le champ du cinéma. En conjuguant rigueur académique et souffle militant, elle signe un film d’école qui dépasse les attentes habituelles du genre : une réflexion sur la création, la mémoire et la résistance, portée par une sensibilité artistique affirmée.

