Par Kaouther Khlifi

Court-metrage « Ezaffa » réalisé par Abdelfattah el Kamel

Un compte de faits est tout sauf un conte de fée. Le film démarre, dès sa première scène, sur un contre-pied. On a bien vu qu’il a fallu un certain effort à Saïd pour chausser sa dulcinée. On a bien vu qu’à Amal, l’escarpin n’est pas allé comme de cire. 

On n’a pas manqué d’augures et pourtant, le film va continuer à s’amener à nous dans une ambiance de désenchantement total, sur 14 minutes de bande. En noir et en blanc, probablement comme le meilleur et le pire. Dans ‘’Ezzaffa’’, les fiancés qui s’apprêtent à vivre ‘’le plus beau jour de leur vie’’ sont seuls dans cet instant d’avant l’heure H. C’est d’ailleurs Saïd qui joue, seul, à l’habilleur, au damoiseau d’honneur et au photographe très économe. Chaque geste intervient comme un cochage de case qui installe un engrenage où aucune réversibilité n’est possible. C’est un fait.

Le couple est maintenant à l’arrière de la voiture censée les conduire à la salle des fêtes, et là non plus, rien ne se dessine sur leurs visages. Jusqu’à ce qu’une voix, s’échappant de l’autoradio, vienne briser le silence et la crispation. Entendez et écoutez! Saïd et Amal convolent – c’est ‘’la voix’’ qui l’annonce- avec cette solennité propre à l’autorité, rappelant combien le mariage est une chose publique, grave, sociale et sociétale. Il n’a pas suffi aux fiancés de bien se regarder l’un l’autre et les deux dans la même glace pour réaliser ce vers quoi ils étaient en train d’aller. Quand le noir et blanc du film est interrompu par quelques flashbacks en couleurs – bien que l’inverse soit d’usage – le scénario semble leur offrir l’occasion de se regarder de nouveau, la couleur aidant. Peut-être se referont-ils une consistance devant cette spirale qui semble les avaler ? Peut-être renoueront-ils avec qui ils sont vraiment ?  

Commence alors la véritable rencontre entre personnages, d’une part, et entre personnages et spectateurs, d’autre part. Il est Tunisien, elle est Marocaine, nous sommes à Dubaï et nous venons de quitter un de ces quartiers pauvres dont on ne soupçonne même pas l’existence. La ville est grande et démesurée, aride et déserte. Il est probable que leurs pays respectifs leur manquent et que le dépeuplement les ait rôdés. Quelles deux âmes paumées ne courent-elles pas alors se réfugier dans le mariage comme promesse de repeuplement. Puisse la famille constituée venir combler le manque de la famille constituante. Mais c’est sans compter sur ‘’la voix’’, encore une fois, qui va rappeler à Saïd et à Amal, serveurs de café de leur état, que le ‘’ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants’’, n’est pas de l’apanage de tout le monde par les temps qui courent.  C’est un fait. 

Le film en vient, ici, à son moment de déflagration. Maintenant, les protagonistes parlent, réagissent, s’agitent, sortent de leur léthargie et de leurs gonds. Saïd veut prendre l’air, Amal veut qu’on arrête la voiture et tout converge vers la dissonance. La scène qui va suivre n’est pas loin de rappeler le kidnapping, parce que la voiture ne va justement pas s’arrêter. La voiture, comme le destin, veut aller de l’avant, quand bien même on rentrerait dans le mur.