Par Kaouther Khlifi
Court-métrage « Till last breath » réalisé par Ghassen Jerbi
Le film Till last breath, dont la durée de 14 minutes et 37 secondes n’est pas loin du dernier record d’apnée enregistré, s’ouvre dans un cimetière où l’on voit un fossoyeur qui tombe, au hasard d’un coup de pelle donné dans la terre, sur ce qui semble être une pièce archéologique représentant Tanit.
On comprendra ensuite qu’en récompense de son geste citoyen de restitution de sa trouvaille aux autorités compétentes – et probablement eu égard à son état de santé – voilà qu’on le sort d’entre les morts pour l’envoyer entre des encore plus morts. Nédhir, devenu gardien de musée, est un homme seul, fatigué et malade. Sa détresse respiratoire nous prend presque à la gorge et ses toussotements meublent la majeure partie de l’espace sonore attribué au personnage.
On suivra donc le parcours de Nédhir comme on s’accroche à une corde de plongée dans le sens de la montée. Et pourtant, l’air est saturé à chaque sortie de tête, dans l’appartement vide de sa femme morte et de son fils parti. Au musée, il ouvre, il ferme, il balaie, il dépoussière et quand il ne parle pas aux statues, il s’improvise guide en dépit de ses lacunes linguistiques, avec un enthousiasme qu’on ne lui a pourtant pas connu dans les rares échanges qui le confronteront à son voisinage.
On peut se demander dans quelle mesure le film interroge notre rapport au lointain et notre évitement de l’attenant, comme si l’abordabilité des choses les évacue d’emblée de la valeur qui est la leur. Nédhir, qui ne regarde même pas d’un demi œil le sans-abri qui squatte l’entrée du musée où il officie, laisse pourtant transparaître un certain sens de don de soi dans les menus soins qu’il prodigue à des figures figées dans des pierres préhistoriques. Le praticien en fait de même quand il s’inscrit en désertion de la première ligne et lui privilégie un séminaire entre pairs. C’est aussi le cas du fils, happé par la recherche fondamentale ou peut-être clinique, mais qui n’arrivera jamais à temps pour poser un masque d’oxygène sur le visage du père haletant.Till last breath est peut-être un film sur des temporalités décalées à compter en années ou en millénaires. 3.000 ans d’histoire, 5.000 ans d’histoire, 7.000 ans d’histoire and so what ? L’homme, agonisant mais éclairé, ne manquera pourtant pas un dernier geste de sauvetage civilisationnel. Le masque d’oxygène, ce n’est pas sur le nez d’Hannibal qu’il choisira de le poser. Ce n’est pas sur le nez d’un stratège de guerre. Mais, sur le nez de Tanit. Peut-être faut-il rendre son dernier souffle à la femme, la sauver pour sauver le monde. Il nous aura avertis, Nédhir, qui, au passage, porte bien son nom.

